VIE, MORT ET MORPHES
La mort n’est plus une certitude pour la transhumanité, mais elle reste possible.
Au cours de la décennie qui a précédé la Chute, la majorité de l’humanité s’était plus ou moins faite à l’idée que l’immortalité était là, entre ses mains.
Puis, en quelques petites années, les Titans ont balayé plus de 90% de notre population.
Face à l’horreur de tant de morts gratuites, les efforts déployés pour la survie des humains restants sont devenus une priorité absolue.
Maintenant, les technologies de l’immortalité – transferts, piles corticales et autres merveilles – sont devenu des lieux communs.
L’ensemble des habitants du système solaire est aujourd’hui habitué à ces concepts (à l’exception des bioconservateurs les plus engagés).
Tout le monde s’attend donc à vivre pour toujours avec ses amis, sa famille et ses ennemis.
Mais bien que la mort soit rare désormais, elle existe encore.
Des accidents graves peuvent détruire la pile corticale et le cerveau, l’ego peut se voir balayé, effacé en châtiment de certains crimes odieux – et les procédés d’exécution sont bien plus compliqués aujourd’hui qu’ils ne l’étaient quelques années en arrière.
Pour tous les gens (à l’exception de ceux qui sont trop pauvres pour se payer un nouveau morphe), les morts non-définitives sont un désagrément comparable à ce que les populations
du XXe siècle voyaient comme des malheurs relatifs, comme un bras cassé ou une vilaine grippe intestinale.
Dans la majorité des habitats, être responsable de la mort temporaire de quelqu’un, qu’il s’agisse d’un acte volontaire ou d’un accident, impose de couvrir les frais de son ré enveloppement dans un morphe identique, plus particulièrement si cette personne ne possède pas d’assurance morphose.
Ceux qui ont eu à mourir temporairement peuvent s’attendre à recevoir la visite de leurs proches, après la morphose, ainsi qu’une flopée d’e-cartes et peut-être de petits cadeaux de leurs collègues et connaissances, tous exprimant leur compassion pour cette mort inopportune et leur souhaitant un bon retour dans le monde des incarnés physiques.
L’échange de ces « cadeaux de vie » est une sorte de marque d’appartenance, une véritable coutume qui s’est ancrée dans de nombreuses professions, comme chez les employés des services d’urgence dont les membres risquent régulièrement leur vie.
Choisir de changer de morphe sciemment ou de devenir infomorphe pour un temps se conçoit différemment.
En principe, les personnes prennent un jour ou deux entre leur décision de changer de morphe et le ré-enveloppement : pendant ce temps, la politesse veut que l’on informe tous ceux que l’on connaît bien et ses collègues de la morphose à venir.
En plus des visites personnelles, des appels et e-cartes informant de la date de l’évènement, celui qui se ré-enveloppe est tenu de fournir une photo de son nouveau morphe afin que les autres puissent le reconnaître facilement.
Notez toutefois qu’il est considéré comme maladroit (voire grossier) de fournir des détails sur ses nouvelles améliorations lorsque l’on s’incarne dans un morphe meilleur par sa qualité ou son modèle.
Dans les jours qui suivent la morphose, on organise généralement une petite « fête de morphose » afin de présenter à tous ceux que l’on connaît son nouveau morphe.
Selon la fortune, la renommée et la sociabilité de l’individu, ces fêtes se déclinent en de somptueuses réceptions dans des salons d’hôtel ou en petites réunions intimistes chez l’intéressé.
On regarde la mort définitive d’une toute autre manière.
Puisqu’il s’agit de quelque chose de plutôt rare et de complètement inattendu, les vieux rites funéraires ont disparu pour laisser place à de nouvelles traditions.
Comme ces morts définitives rappellent à ceux qui restent les milliards de morts survenues durant la Chute, les nouveaux rituels qui les entourent sont là pour honorer à la fois la mémoire de celui qui vient de mourir et celle de toutes les victimes de la Chute.
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